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Photo du rédacteurLa noctambule

Écospleen en trois volets fermés

Dernière mise à jour : 24 mai 2020

Juin-septembre 2019




I Coucher de soleil

Sur la dune. Pieds d’enfant à tenir au chaud.

Sable. Couverture moite.

C’est l’histoire de l’après. Après la fuite.

L’embrasement était total. Le poil roussissait sur les bras. Nous sommes devenus chauves.

Derrière, un empire rétractable laissait échapper ses fumées.

Puis il nous couvrit de coton de neige incendié.

La sensation de froid laissée par le feu nous a trompés. Plus rien n’avait de sens.

L’enfant fut couvert. Nous brulâmes un peu plus.

Nous avions pourtant pris soin de tout fermer, de nous barricader.

Portes et fenêtres calfeutrées, comme dans l’attente d’un immense, d’un incommensurable,

d’un redoutable hiver.

Un feu d’artifice ininterrompu. Nous pensions que c’était un jeu. Mais tout sautait.

Maison après maison.

Quartier après quartier.

Ambulances. Éclats de vitres. Cris.

Eau qui monte dans les égouts.

Ville en ébullition.

Terre-Titanic


Ensuite, ils demanderont aux petits de dessiner la fin du monde.

Exercice anomique.



II Gestes ultimes

Recouvrir le pergélisol. Stopper l’évaporation du méthane.

Se tenir en masse devant les magasins de climatiseurs.

Retenir le ruissèlement des engrais qui s'épuisent dans les eaux avoisinantes.

Contrer la dislocation des fonds verts. Lancer des briques dans les fenêtres des bureaux de l’État.

Bloquer de nos corps vibrants les projets de mines, d’exploitation, d’extraction.

Pas de quartier.

Notre tourment ne viendra pas à bout du désir de lutter.

Ils ne feront rien. Nous le savons. Ils feront comme si.

L’illusion d’agir est l’épiphanie des puissants.

Taire la tragédie pour ne pas alerter les cotes boursières.

Les porcs ont une fièvre avide qui les rend aveugles.

Rapaces.

Leurs gueules en forme d’explosion.


Écoutons l’arrière-petit-fils de Sitting Bull parler de l’équilibre intérieur et du caractère sacré de tout. Du respect du vivant.

Fusion.

Finitude, translation du cataclysme.

Rêver encore une solution.



III Je sens déjà mes bras

Je sens déjà mes bras qui brulent. Je sens déjà mes membres.

Ma tête est lourde chaque jour davantage. Nous nous engouffrons.

J’ai eu toutes sortes d’intuitions. Le bulletin météo m’inspire. La grande spirale s’est actionnée.

Nous sombrons.

Les corps bientôt broyés dans la misère. Celle du chaud et du froid. Celle des eaux folles

qui s’inventent des fins du monde adaptées.

J’ai cessé de faire de la musique. Besoin de temps pour les autres qui s’effaceront. Besoin de réfléchir à la meilleure manière de vivre la fin.

Pour se voir tous les dimanches, il faudra ramper, se protéger.

Ceci est la version poétique de la parole du prophète, celui qui dit vrai, qui prédit juste.

Celui qui profère haut et fort et qui donne raison à ce que je croyais jusque-là être mes délires.

Ce n’est pas cette fin-là que je m’imaginais. Je l’aurais crue plus individuelle.

Nous serons nombreux. Nous serons tous là.

Nous n’en réchapperons pas.

Dans chaque bouche, dans chaque main, le signe de l’amour et de la bordure extrême et définitive. Il fait pourtant si beau aujourd’hui.

Ce texte est craché des entrailles de ma terre brulée. De la lave et du sang de mes ancêtres, ces colonisateurs fiers, aguerris, crasseux, infâmes. Voleurs de forêt.

La terre se venge.

Ce texte est un dépassement de jupon souillé, le juste corolaire du viol de l’air, du sol

et de la vie ardente.

N’en faire pas trop. Juste assez pour que le bruissement arrive aux oreilles des chimères.

Paris brule. Montréal, Berlin. Casablanca, Le Caire, Kaboul, Sidney. C’est tout autour.

Feu à Barcelone. Grêle au Mexique. Canicule en Europe.

Ma maison brule et pourtant je suis assise, tranquille et immobile. Tout se consume.

Il fait soleil si fort aujourd’hui.

Et c’est ainsi que cela arrivera. Rapidement, sans que nous nous en rendions compte.

Le grand ravage carbonisé pourtant prévu depuis longtemps.

Il ne restera plus un coléus.

Plus un lilas.

Plus une salamandre courant autrefois sur les murs chauds de la terrasse, au Maroc.

Le jour où la terre offrira ses entrailles à l’air vicié.

Il ne restera plus de souvenirs. Tout sera en cendres.

Et notre mort à nous,

ce sera d’assister sans bouger au spectacle de cette disparition.

Nous n’aurons même pas besoin de mourir pour vrai. Nous mourrons de la mort de tout.

Jusqu’à ce que les bras brulent. La peau, la tête.


Peut-être jusqu’à ce que nous tâtions l’humain, que nous flairions la vie,

jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’à reconstruire le décor,

qu'à se faire une autre scène, qu'à déterrer d’autres animés,

du vif à faire fleurir. De la racine et de l’enfant.

Jusqu’à ce que l’autre à mes côtés se rappelle qu’il existe et que j’existe.

Qu'il me voit comme je le vois.

Nous entrelacerons alors nos mains flétries et vieilles. Des mains pour creuser et débusquer les salamandres. Le charbon et l’anthracite affleuré, du mort utile.

Nos mains oublieuses.

Nos mains communes.

Nos mains avancées.

Nos mains de soufre vital.

Plongées dans les sols boueux et encore chauds.

Nous tirerons peut-être quelque chose des résidus de radicelles. Des cheveux de vie en réseau.

Avec la complicité des vers.

Labours à échelle miniature.

L’effondrement à venir comme révolution.

Je t’aime déjà.



Isabelle Larrivée

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