Le voyage flou III- Casablancahhhhhh!!!!
- La noctambule

- 8 juin
- 3 min de lecture

Chaque fois où j’annonce à des gens mon départ à Casablanca, je vois des yeux pétiller, et j’entends des exclamations du genre : « Ah! Chanceuse! ». On voit combien Casablanca, ce film iconique réalisé il y a plus de 80 ans, nourrit encore les imaginaires et permet d’idéaliser une ville alors sous l’autorité de Vichy et qui n’a aujourd’hui rien à voir avec celle de cette époque. D’autant que la production cinématographique avait été entièrement réalisée dans les studios Warner, en Californie, et que, par conséquent, ni Humphrey Bogart (le vertueux Rick) ni Ingrid Berman (la loyale Ilsa) ne s’y sont retrouvés dans un night-club.
Il y a d’autres bons arguments pour ramener à la réalité ceux qui seraient encore envoutés par la réputation légendaire et surfaite dont jouit cette ville. Casablanca n’a absolument rien de sentimental, ou du moins, la romance n’est pas sa caractéristique essentielle et ce n’est pas spontanément ce qui vient en tête à l’évocation de cette ville géante, aux plans urbains modifiés selon les circonstances.
Même si certains quartiers, certains cafés, des lieux en particulier, et les histoires qu’on peut y avoir vécues ajoutent une couche de sens et peuvent nous toucher droit au cœur, Casablanca demeure une mégapole désordonnée, polluée. Les triporteurs, les taxis rouges, les voitures, les camionnettes, les taxis blancs qui assuraient autrefois la liaison entre villes ou avec l’aéroport, mais qui parcourent désormais les rues de Casa, les motos, les mobylettes, les InDrive, les piétons se disputent la chaussée où, pour franchir un passage piétonnier ignoré par les véhicules à roues il faut, tenez-vous bien, traverser la rue en marchant le plus lentement possible. C’est du moins la technique que m’a enseignée Wafa qui m’accompagnait hier à la librairie: « N’aie pas peur, Maman! Avance lentement! Tu obliges les voitures à s’arrêter. » Je constate que cette façon de faire est systématiquement appliquée par tous les audacieux marcheurs qui traversent en même temps que moi, ce pour quoi je veux bien essayer de ne pas avoir peur. Malgré quelques automobilistes entêtés qui persistent à appuyer sur l’accélérateur, et face auxquels, évidemment, on doit bien reculer, la plupart obtempèrent.
N'empêche qu’il y a plusieurs raisons expliquant ce chaos qui confère à la grande capitale industrielle et commerciale du Maroc ses allures de Calcutta du Maghreb. Selon le portail Statista, en 2000, la population de la ville était de 3,13 millions, en 2023, de 3,89 millions et on prévoit qu’en 2030, elle atteindra les 4 millions. Le parc automobile, à Casa, n’a donc jamais cessé de croitre, tout comme les petits véhicules, dont les triporteurs, qui ont toujours servi au transport infra urbain des marchandises. Les besoins en déplacements de toutes sortes vont forcément de pair avec l’accroissement de la population. Impossible de croire qu’au début des années 90, je me déplaçais à vélo. Pendant ma période cycliste, j’avais tout de même été heurtée deux fois par des automobilistes impatients. En 1994, enceinte de Wafa, j’ai relégué mon vélo dans un hangar, puis il n’a plus jamais été question de l’enfourcher.
Le développement récent de lignes de tramway, qui a nécessité des fonds importants et de longues et fastidieuses étapes de construction, n’est pas parvenu à endiguer cette calcutisation de la circulation. Dans un tumulte constant de mouvements et de mécanismes, où les feux de circulation sont souvent mal disposés, inopérants ou tout simplement absents, l’être humain se réduit à une fragile créature. Pour lui, croiser les intersections devient une cruciale question de vie ou de mort. Même en traversant lentement. Et pourtant, la ville, au départ, veillait à sa prospérité. Elle était au service de son organisation sociale, de ses activités commerciales et de la sécurité de sa famille.
C’est pourquoi nait en moi une inquiétude légitime lorsque je tente de m’imaginer de quelle manière on arrivera, d’ici la tenue, à Casablanca, de la Coupe du monde de 2030, à discipliner ce réseau routier, ces mouvements piétonniers, ce trafic anarchique. Certes, tous les quartiers de Casablanca ne sont pas aussi turbulents que le populeux quartier de Derb Soltane, mais que je me trouve au Maârif ou bien près de la vieille Medina, outre quelques nuances en termes de volume, la tension est similaire, la confusion fréquente et le risque certain pour les piétons qui oseraient traverser trop rapidement.




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