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Photo du rédacteurLa noctambule

À tire-d'aile (tire d'aile? d'ailes?)

Dernière mise à jour : 8 avr. 2023


Titre : Les hirondelles



Première partie

Je suis quelqu’un qui se trompe beaucoup. À vrai dire, il est rare que je ne me trompe pas.


Deuxième partie

Le soir, vers 17h, je fais mon yoga. Je déroule mon petit tapis bleu, je mets dessus une couverture en gros tissage de laine marron, et je m’étends devant la fenêtre.

Quand arrive le printemps, la fenêtre s’éclaire et je peux alors observer le ciel varier, selon la température du jour. Parfois, il est clair. Parfois, sombre et lourd à la Baudelaire. D’autres fois, il est tout barbouillé, ou menaçant, ou chargé. Ou parfois, les nuages se déplacent très vite. Petite, je me disais que c’était ça, la fin du monde. Quand les nuages vont vite dans le ciel.


Troisième partie

Quand j’ai accordé le rythme de ma respiration avec le mouvement du ciel, une nouvelle observation s’offre à moi : celle des volatiles. Ils sont aussi variés que les nuages. Ils ont souvent le ventre tout blanc. Et parfois, dans cette nuée, volent à raz de moustiquaire des hirondelles. On m’a déjà dit que ces petits oiseaux à la queue en V qui ressemblent à s’y méprendre à des hirondelles ne sont pas des hirondelles. Quelle déception! J’ai repensé à mon cahier de lecture de deuxième année B, dans lequel pour la première fois j’ai découvert le mot « hirondelle ». « Les hirondelles », qu’il était écrit. Et je l’ai répété à voix haute, avec la douce liaison qui glisse : les zhirondelles. Et je pense qu’en fait, c’est l’amour du mot qui me fait voir des hirondelles voler à ma fenêtre.


Quatrième partie

Les oiseaux sont variés, je le vois à leur taille, à la densité de leur estomac, à l’envergure de leurs ailes. Enfin, tout le monde sait bien que les oiseaux sont variés, mais je parle de ceux qui passent à ma fenêtre et que j’ai loisir d’observer pendant que je ne fais pas mon yoga. Ceux qui sont de sortie entre 17 et 18 heures. Il faut dire que j’ai là une modeste volière. Certains spécimens ont un bec plus long et jaune. Je vais oser les appeler des mouettes, bien connues pour laisser de grosses merdes partout où elles passent. Et même parfois sur les gens. Elles ont un cri strident et désespéré. Elles sont moins légères et moins fluides, moins poétiques que les hirondelles, en tout cas ce que j’appelle des hirondelles. Elles sont massives. On voit tout de suite leur mauvais caractère et leur recherche agressive de petits vers ou de quelque chose à se mettre dans l’embouchure : miettes de pain, spaghetti tombé sur le trottoir en sortant du take out, arêtes de poisson éperdues à côté de la benne à ordures… Ce sont les éboueurs des cieux.


Cinquième partie

D’habitude, les oiseaux, quels qu’ils soient, volent en tous sens, se font aller l’envergure de haut en bas, calmes ou excités, luttant contre le vent ou se laissant porter en vol plané avec, de temps en temps, une petite remontée soudaine, comme dans une fantaisie aérodynamique. Je sens à cette description que j’ai vraiment pris de l’expérience en matière d’oiseaux. Mais il y en a une autre sorte, très présente. Avec un ventre blanc et des ailes beaucoup moins souples. Ces oiseaux-là sont énormes, nombreux. Ils descendent de loin, presque immobiles. Ils font figure de mastodontes astraux, de mammouths ouraniens. Je ne sais pas trop ce qu’ils peuvent ingérer par cette espèce d’énorme avaloir, je ne sais même pas si ça s’ouvre, cette affaire-là. Un bruit sourd, constant s’échappe de leur boursoufflure abdominale. Comme un sinistre roulement de mécanique… Quand j’en vois un de cette sorte approcher, je me dis toujours la même chose : imaginons qu’il ne dévie pas de sa trajectoire et qu’il continue à me faire face comme un monstre obtus. Imaginons qu’un problème de pilotage l’empêche de bifurquer. Imaginons qu’il fracasse ma fenêtre et qu’il fasse peur à ma volée? Ma respiration, à tout coup, se bloque.


Sixième partie

Bien sûr, cela n’arrive pas et cette chimère ne sert qu’à faire battre mon cœur trop vite. Je n’ai jamais rien lu d’aussi inquiétant dans mon cahier de lecture de deuxième année B. Je me demande tout de même pourquoi je fais ma séance quotidienne de yoga devant cette fenêtre de malheur.

Bon, comment finir? En queue de poisson, ça devrait aller.


Fin


Isabelle Larrivée


Illustration: Méthode de lecture À petits pas, page 34. ©1969



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