top of page
Rechercher
Photo du rédacteurLa noctambule

Retour à Casablanca (1)

21 juin 2024

 

La cour intérieure du Lycée Khawarizmi s’est transformée en une forêt de lauriers-roses et d’hibiscus. Les feuilles du bananier ont pris des teintes rousses, brûlées aux pourtours par le soleil. C’est le spectacle en plongée qui s’offre à moi du 4e étage de notre immeuble.


Les lycéens ne viennent plus se masser, en cette fin de juin, devant le tableau des résultats. On ne crie plus de joie devant la réussite, on n’étouffe plus son chagrin face à l’échec. Les résultats sont désormais envoyés par courriel, chacun chez soi fait son constat et planifie son avenir.


À la gare de Casa Voyageur, Kamil m’a vue le premier et est venu vers moi, léger, sautillant comme une chèvre de montagne : « Salut m’man ! ». Il était arrivé d’Iran deux jours plus tôt. J’avais hâte d’entendre ses récits de voyage. Qui penserait faire du tourisme en Iran par les temps qui courent ? Il s’était préparé méticuleusement, il avait l’un après l’autre déboulonné nos préjugés et nos craintes, il avait littéralement TOUT lu. Pas de problème concernant les récents bombardements israéliens ; pas d’inquiétude après la mort du président Raïssi.


Il m’a conduite vers son père. Samir m’attendait debout, amaigri et appuyé sur une canne. Je l’ai trouvé changé, mais souriant et hospitalier, comme toujours. Je me suis approchée de lui en pleurant, j’ai collé ma tête sur sa poitrine, je l’ai serré dans mes bras. Il m’a entourée de son bras libre, l’autre tenant sa canne. Je constate assez vite que, même affaibli par la maladie, le papa de mes enfants est plein de vitalité et de fierté. Impossible de lui ouvrir une porte ou de lui apporter la moindre aide que ce soit. Il veut tout faire par lui-même, ne dépendre de personne et il a bien raison. Si cette condition physique doit demeurer la sienne, s’il devait ne pas se remettre complètement, autant entretenir son autonomie. Il parvient à râler abondamment sur la montée du Rassemblement national en France, ce qui est un indice de vigueur et de lucidité. Tout va bien.


Tout a changé. Le développement urbain s’est poursuivi à Casablanca où je ne suis pas venue depuis cinq ans. La navette entre l’aéroport et la ville aboutit dans une gare qui a été considérablement agrandie. Samir me dit que l’autre gare importante de Casablanca, Casa Port, a, elle aussi, pris de l’expansion. Une ligne de tramway passe maintenant le long du boulevard Mohamed VI et des passages pour piétons ont été aménagés. On peut aller faire des courses à Baladia ou aux Habbous de manière plus sécuritaire. Mais d’ailleurs, qu’est devenu Baladia ? Y sert-on encore des brochettes en tout genre ? Y trouve-t-on toujours des échoppes de fruits et de légumes ? Des pièces de viande pendues à des crochets ?


Des immeubles à condos modernes ont poussé à la place d’anciennes villas, certaines patrimoniales, car Casablanca fut, au temps du protectorat français, un laboratoire d’architecture coloniale art déco. L’association Casa mémoire s’efforce de défendre et de protéger ce patrimoine. Mais si les pouvoirs publics autorisent malgré tout la destruction de certaines villas de valeur historique, les grands immeubles, eux, ont été préservés et récemment rénovés. Marius Boyer, Alexandre Courtois, Edmond Brion et Georges Candilis comptent parmi les architectes français qui ont fait de Casablanca, à partir de 1912, un lieu d’expérimentation architecturale. On trouve l’un de ces immeubles, mon préféré, près du Parc de la Ligue arabe, l’immeuble Imcama, construit en 1928 par l’architecte Albert Greslin.







Pour l’instant, nous arrivons à la maison, dans un immeuble pas déco du tout. Je regarde Samir sortir laborieusement de la voiture. Je suppose que je vais m’y faire. S’il m’entendait penser, il m’engueulerait.


Isabelle Larrivée


Photo: Journal Le matin, 5 octobre 2014.

55 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page