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Photo du rédacteurLa noctambule

Poésie par extension

Dernière mise à jour : 20 août 2020

Parc-Extension, samedi 22 juin 2019, 20 h.


Le soleil se couche dans la ruelle verte. Les voisins sont affairés à leur jardin ou à leur corde à linge. Dans les arbres, les oiseaux chantent des berceuses à leurs petits. Les miens sont en vacances chez leur père. Mon balcon est hospitalier. Tout va bien. Sauf un avion qui rase les nuages aux dix minutes. Mais j’ai l’habitude.


Ce répit vacancier me laisse dans un silence apaisant. J’ai fait du ménage toute la matinée, puis les courses et quelques brassées.


Je n’ai rien à dire, mais j’ai besoin de l’exprimer. Quand on vit dans les mots, qu’on les enseigne, qu’on en use, qu’on les agite, les malmène, les broie, les raccommode, les soigne, leur absence est quelque chose d’impossible et même le silence, il faut pouvoir le peupler, le nommer.


Tiens, un avion.


Oui, il faut pouvoir fournir à ce vide apparent la matière à dire. Il faut pouvoir conserver par-devers soi la faculté de performer encore. Et encore. C’est une forme d’être.


Jadis, alors que je vivais au Maroc, j’ai eu une amie, une Américaine, mariée avec un Français, un Tremblay. Lui avait un poste dans une multinationale quelconque. Elle parlait un français impeccable. Nos filles étaient dans la même classe à l’école où j’enseignais. Nous avions sympathisé. C’était une très chouette fille. Elle avait alors deux enfants. Un jour, elle m’a annoncé qu’elle était enceinte d’un troisième. Puis, un quatrième vint. Un jour encore, j’étais assise avec elle au jardin de sa maison. Nous discutions maillots de bain. Elle me dit qu’elle avait envie d’un autre enfant. Les moyens matériels n’étaient pas un problème pour eux. Je lui dis qu’en fait, c’était comme si ses grossesses étaient devenues un mode de vie. Comme si cela faisait intimement partie d’elle, que cela la faisait et qu’elle n’existait qu’à travers ses gestations. Elle me dit oui, peut-être, mais c’est comme ça.


C’est comme ça aussi avec les mots. Une permanente gestation. Les mots sont ma peau, ma fibre, mon utérus qui grossit, et c’est à travers eux que je trouve de quoi exister. Alors quand je n’ai rien à dire, il me faut en parler.


D’ailleurs, c’est souvent dans ce silence que peut naitre la poésie. C’est comme pour la musique! Les notes sont disposées dans le continuum du silence et l'interrompent tout comme le silence permet une disposition ou légère, ou insistante, ou économe, ou échevelée des mots, des vides, des creux sur les pages blanches. Enfin, je suppose, car je ne suis poète qu’accessoirement, quand je ne sais vraiment plus quel bord prendre pour dire. Quand la panique s’installe que je dois dompter. Quand je vois le temps filer sans que j’aie fait œuvre. Comme si je mendiais ma pitance de poésie et les vides et les creux.


Tiens, un autre avion.


Il y a toujours à dire. Ce doit être une déformation de prof, ça. Il y a toujours à répéter, de mille façons. Toujours la même masse à sculpter, à tailler, entailler et taillader, le même morceau de pierre à savon ou pierre de lune brute, jade, quartz ou opale à mettre à sa main.


Un avion.


Je sens que la poésie s’étiole. Que le soleil est sur le point de me priver de ses précieux rayons. Il n’y a pas d’ampoule au balcon. Les maisons se découpent en contrejour sur le fond bleu-rose, derrière le chêne. La voisine a fait une grosse brassée multicolore qui sèche sans vent. Les BBQ sont sortis, mais encore tous recouverts de bâches. Les gens sont prudents.


Est-ce moi ou bien il fait frais pour une soirée de fin juin?


Est-ce moi ou bien cet avion est passé plus haut que les autres et nous a moins assourdis?


Est-ce moi ou bien une voisine sort avec un gros perroquet vert gazon, qu’elle embrasse sur le bec?


Est-ce moi ou bien les bruits sont en train de devenir sourds, se laissant peu à peu ensevelir sous l’obscurité qui gagne la ruelle, en guise de déférence extrême pour le jour disparaissant?


Je n’ai pas encore planté mes pétunias cette année. J’irai les chercher demain. Pour mettre un peu de poésie au balcon et pouvoir surveiller pendant l’été des choses vivantes qui poussent.


Bon. Je me tais. D’ailleurs, je ne vois presque plus ma feuille.


Isabelle Larrivée

44 vues1 commentaire

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1 комментарий


Daniel Guénette
10 дек. 2019 г.

Petit texte. Petit soir d'été. Agréable. Oui, tout va bien, mais. Il y a le bruit des avions et un silence blanc aussi blanc qu'une page blanche. Mendicité. Quelque chose manque. Il faudra des fleurs, il faut davantage de poésie, parce que sans poésie, on ne voit presque plus rien.

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