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Photo du rédacteurLa noctambule

Loin de la Thaïlande




C’est loin, la Thaïlande. 13 158 kilomètres de Montréal à Chiang mai. Je cherche des points de comparaison. Ma neige est ton sable. Tu manges du poisson et ici, on le noie. Les mouettes piaillent à Bangkok, ici, les camions. 13 158 kilomètres, c’est un monde de différence. C’est de l’autre côté de la planète. Dans le février du Québec, le soleil décline à 17 heures pendant que chez toi, la lumière dorée de l’Orient joue un peu plus tard sur ta joue.


La Thaïlande, c’est loin quand même. Je ne sais pas pourquoi tu es parti si loin. Pour consommer la rupture que ton âge adulte, déjà, confirmait ? Ou peut-être n’en étais-tu pas bien certain ? Peut-être n’étais-tu pas tout à fait convaincu de cette séparation ? Peut-être avais-tu simplement besoin de la jouer en acte? Ou de me la mettre au visage, croyant que je n’avais pas compris ? Faisant comme si ce n’était pas toi-même que tu mets face à l’éloignement et à la distance ?


Mais peu importe. Le soleil de l’Orient joue dans tes boucles et j’ai gardé ta photo sur ma table de travail.


Le seul souvenir que j’ai du royaume de Siam, c’est celui de son pavillon à l’Expo 67. Architecture de dentelle, fine et dorée, féérique pour les yeux d’une petite de 8 ans. Une structure digne du facteur Cheval, qu’on aurait dit sculptée spécialement à l’intention des enfants. La musique pentatonique semblait émaner des murs, et imprégnait les lieux une ambiance étrange qui nous transportait. Nous ne connaissions rien de l’ailleurs. Nous faisions la rencontre de l’exotisme. Maman nous attachait les poignets avec une corde à danser, ma sœur et moi, pour ne pas nous perdre dans la foule curieuse qui déambulait en grands mouvements serrés dans les petits sentiers séparant les points d’intérêt. Mais elle connaissait ce pavillon et ce jour-là, elle nous y avait amenées expressément.


Mais quand même, la Thaïlande, c’est pas la porte à côté. À la porte à côté, il y a mon voisin qui remet dans mon entrée la neige que j’avais pelletée tout à l’heure. Il y a les chiens qui viennent répandre leur pipi jaune dans la butte près des escaliers (chaque fois, je pense à Frank Zappa). Il y a mes vieilles bottes qui ne me tiennent plus très au chaud. Mais je n’ai pas à me soucier, cette année, du fait que tu passes l’hiver en baskets avec des petites chaussettes fines dedans. Je n’ai pas à m’inquiéter que tu sois sans gants, sans tuque, le manteau ouvert et la fale à l’air aux vents froids de la ville. À sortir jusqu’à plus d’heures, comme un allumeur de réverbères.


Cet hiver, loin de la Thaïlande, je n’ai pas à m’en faire pour tes projets d’avenir. Je ne me prends pas la tête en pensant à ta fragilité. Tu es en suspens. Inatteignable.


Et parfois, je m’imagine l’inimaginable. Je me vois, creusant, creusant, creusant dans le sol, en utilisant ma bêche et mon courage, ma pèle et ma patience, et te rejoindre dans ta Thaïlande lointaine. Mais n’aie crainte. Reste dans tes terres jaunes et tes îles à palmiers loin de moi et de toi aussi, d’une certaine façon. Profite de ton jeune temps, lorsque tout s’étire à l’infini, lorsque le présent est rond et plein, lorsque tout nous traverse et qu’on est si vivant.


Isabelle Larrivée



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