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Photo du rédacteurLa noctambule

Les diverses strates de toi

Dernière mise à jour : 24 mai 2020

19 juin 2014




Homme à l’archéologie variable, aux multiples profondeurs et surfaces, au relief incertain de douceur, tes paliers en montagnes russes me fascinent.


En surface loge le blagueur un peu léger, arrogance et mèche grise au front, frondeur devant l’éternel. Main fine, longue, leste et bougeant au rythme du sens. Celui qui se montre d’emblée. Celui qui peut confondre et qui, de fait, confond. C’est la couche de la parure, un passage obligé.


Juste au-dessous réside l’homme des idées et de l’engagement, l’homme de parole, celui qui choisit ses mots, qui hésite, qui se résume et déploie son intelligence. Intransigeant et appuyé sur un fonds longtemps élaboré, il se tient avec aplomb sur sa lancée, fonce, avance et il ne laisse pas toujours beaucoup de place sur la banquette de la réflexion. Celui-ci m’impressionne, je dois bien l’avouer.


Apparaît parfois aussi dans l’entresol un railleur, un cynique, un impatient, un impulsif, une grande gueule exaspérée et, on n’a pas de mal à se l’imaginer, une tête à claques. Celui qui dit tout haut. Il en faut aussi qui piaffent.


Sur l’étagement suivant, poreux, humus fécond mais douloureux, se tapit un petit fou anxieux, mal pris, inquiet, hésitant, affolé, terrassé, aspiré, confus, apeuré, régressif, dissous, défait, tragique, abandonné, …is, …et, … ant, ...é, …if, …us, …ous, …ait, …que, pour qui le sens glisse et se meurt, le soi bascule dans l’absence de langage, les mots ne sont plus à la hauteur et n’arrivent plus à nommer le désarroi, la déréliction, le désœuvrement. Là, la souffrance est à pied d’œuvre pour mener sa cabale, conspiration du trou noir, fond sinistre de la spirale et de la perte. Ce désemparé, comme tous les désemparés et toutes les désemparées, se vit dans une sorte de solitude corolaire de sa peur : il n’est pas vraiment présentable. Et je le ressens comme mon vis-à-vis, mon semblable.


Puis, avec un peu de patience, on arrive au noyau tendre. Lieu du rapprochement, de la conversation à voix basse, de la messe caressante et du lien. De la parole libérée. Où l’attirance et l’empathie, l’humanité et l’émotion se donnent rendez-vous et se confondent dans un tango mêlé de langueur et d’arithmétique, où le cœur et l’esprit s’échauffent dans la plénitude d’une palpitation extrême. Où le désir est la révolution du visage, où la douceur cesse d’être vulnérable et où l’abandon préside à l’embrasement. C’est le lieu de la transfiguration et des possibles, le lieu du rêve et des aspirations.


Isabelle Larrivée




Illustration: Jacques Villeglé, Rue de Montparnasse, 17 février 1965

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