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Photo du rédacteurLa noctambule

Jours tranquilles

Dernière mise à jour : 20 août 2020



Désormais, quand je me rends à la Grande Bibliothèque, je jette toujours un coup d’œil inquiet au bout de la rue St-Zotique, au cas où je verrais un autre gros nuage toxique arriver. Mais aujourd’hui, rien. Je descends dans le métro Beaubien, sur le tronçon de la ligne orange qui n’a pas été inondé ce matin, et je prends la direction Côte-Vertu. Arrêt à Berri. Tout va bien. L’inondation n’est pas venue jusqu’ici. À la bibliothèque, je trouve tout de suite la table dans le coin que je préfère, le long de la séparation en lattes de bois, au troisième. Je déballe mes livres, ma trousse à crayons. Je pose mon ordinateur sur la table et je le branche. S’ouvre alors devant moi mon travail pour la journée. Je m’intéresse au temps. Celui qui passe sans qu’on s’en aperçoive. Celui que l’on brûle. Celui que l’on gaspille, que l’on dépense, que l’on passe à travailler pour les autres, et celui que l’on passe à s’occuper de soi. Le temps, quoi. Celui qui passe, tout court. Je fais une petite recherche pour un bouquin. Je le trouve dans le rayon. J’ai de la chance. Je travaille comme ça quelques heures. Puis, je sens la faim me tenailler. Je referme mon ordi. Je place quelques livres sur son couvercle, je prends mon sac à dos et je descends prendre place à une petite table le long des vitrines. Je n’ai rien apporté à lire. Je regarde dehors tomber les premiers flocons de l’hiver. Puis, mon sandwich terminé, je remonte. Quand j’arrive à ma table, surprise! Mon ordinateur est toujours là, et mes livres aussi. Je me remets au travail pour quelques heures. Ça avance bien. Le temps m’est favorable. Puis j’emballe tout et je pars prendre le métro. À mon arrivée sur le quai, les wagons sont là. Super! Je monte, m’accroche à un poteau quand un homme jeune se lève pour me céder sa place. Je lui dis merci, c’est gentil, je fais de la natation. Je peux rester debout. Arrivée à la maison, je panique un peu. Je me rends compte que tout va bien. Que faire? J’ai beau chercher des solutions, il ne m’en vient pas. Bon, que je me dis, je vais aller voir mon fil de presse. Il y aura sans doute là quelque tragédie à me mettre sous la dent. J’allume Facebook. Catastrophe! Simon Jolin-Barrette a démissionné. Il s’est acheté un shack dans Beauport et a décidé de passer l’hiver à tricoter des foulards de Phentex aux parlementaires. Je ne sais pas quoi penser. Moi qui m’attendais à trouver une mauvaise nouvelle… Je mets au four un petit filet de sole. Je vais me préparer des choux de Bruxelles bio à la vapeur. Il y a certainement l’un des deux qui va bruler. Hé bien non! Quinze minutes plus tard, je presse un bout de citron sur mon filet de sole et mes choux de Bruxelles. Rien à faire, tout va bien! Il me reste toujours la possibilité de tomber sur une arête, plutôt rare dans un filet, et de m’étouffer. Je mange doucement. C’est frugal et c’est bon. Pas d’arête à l’horizon. Après le souper, il est encore tôt. On sonne. Un drame, sans doute. Mais non! Ce sont mes enfants. ET ILS VONT BIEN!!!! J’ai la mâchoire complètement décrochée, je suis sciée. Même eux, ils vont bien. Je ne sais plus que penser de cette journée agréable. C’est comme si les éléments et les dieux s’étaient ligués contre moi pour empêcher quelque problème que ce soit d’avoir lieu. Et pourtant… Le soir, avant de dormir, je ne prends pas mon Xanax, espérant faire des cauchemars. Eh bien non! Je dors comme un loir. Je me réveille au petit jour avec devant moi une nouvelle journée pour appréhender l’horreur, l’épouvante, le pépin, le sinistre. À espérer qu’enfin, tout aille comme à l’habitude, c’est-à-dire mal! Je me lève. Mon pamplemousse est frais. Mon café est bon. Mes toasts au beurre d’arachide sont croustillants. Je pense que je vais devenir folle. Je me prends la tête à deux mains. Je me secoue de tous les côtés, je heurte les cadres de porte. Mais que vais-je devenir? Pourrais-je tolérer une deuxième journée de sérénité? Je n’en ai pas l’habitude! Mon corps se rebiffe! Mon esprit se révolte! Comment faire pour souffrir une telle quiétude? Pour aménager la trêve dans mon quotidien brutal? Pour supporter la détente et la tranquillité? Je suppose que je vais m’y faire. Je vais pouvoir traverser des jours zen sans que le chaos s’installe. Sans cafouillage et sans confusion. Juste à fermer les yeux. Bon je vais essayer. Je vais essayer ça. Sans consulter. Ça devrait aller.


Isabelle Larrivée

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