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Photo du rédacteurLa noctambule

« I'm trying not to lose my head »

Dernière mise à jour : 24 mai 2020


Confinement jour 1


Quand rôde la mort, il faut savoir s’élever. Que ce soit pour l’accueillir ou pour la défier, il faut savoir solliciter ce qu’il y a en soi de plus digne.


J’ai passé la journée comme un mollusque infâme, en pyjama, écrasée devant mon écran à suivre l’affaire sous toutes ses coutures et sur tous les sites possibles et imaginables.


Je me suis ainsi fait une culture me permettant de confondre les sceptiques dès que je tomberai sur un commentaire du genre : « Franchement, je me demande encore pourquoi on s'énerve avec 5 000 morts dans le monde entier depuis 4 mois. Chaque année, au Canada, il y a environ 30 000 personnes qui meurent de la grippe. C'est une proportion beaucoup plus importante et on n'aurait pas idée de fermer les écoles ni d'interdire les rassemblements pour ça. »


La question ici est : pourquoi la plèbe s’inquiète-t-elle donc?


D’abord, il faut dire qu’au Canada, ce ne sont pas 30 000, mais bien 3 500 personnes qui sont décédées de la grippe l’an dernier [1]. Mais on n’est pas en train de faire un concours. Ensuite, la grippe ne dure qu’une saison; on ne sait pas encore combien de temps s’accrochera la COVID-19. Enfin, j’ai bien envie d’offrir à cette personne un aller simple pour l’Italie (21 157 cas confirmés), l’Iran (12 729), ou même pour le Royaume-Uni (1 143) [2], là où la négligence et le déni des autorités sont un fléau plus sévère encore que la maladie. Dans tous ces endroits, on a tardé à fermer écoles et les lieux publics, et à interdire les rassemblements. Je ne sais pas si cette personne accepterait mon beau cadeau.


Mon idée ici n’est pas de vriller dans l’anxiété ou de nourrir des craintes par ailleurs légitimes. Mais je crois que ces complotistes à la petite semaine, ceux qui croient que leurs fausses vérités les placent au-dessus des tragédies et qui font d’eux-mêmes des fins finauds de service, sont tout désignés pour mener le monde à sa perte.


Vers 15 heures, j’ai décidé d’aller m’habiller, histoire de me convaincre que la journée avait bel et bien commencé. Mais la torpeur a persisté. Je suis revenue m’assoir devant l’ordi, attirée comme par un gigantesque aimant. Journée improductive à souhait. Il me faudra dompter tout ce temps disponible.


Une chose, une seule m’a finalement brassée un peu.


Vendredi soir, je m’étais flanquée devant la télé pour regarder une série qui s’intitule Hip-hop : l’histoire avec deux grands H. Un documentaire qui plonge littéralement dans la vie des banlieues noires de New York depuis 1970, et qui montre comment, d’une musique de party, le genre a fini par devenir la radiographie d’une société et par exprimer la colère et les revendications des communautés déshéritées du Bronx.


Parmi la multitude de créateurs qu’on y découvre ou redécouvre, il y en a un qui fait l’admiration de tous les artistes de l’époque et de tous ceux d’aujourd’hui : Grandmaster Flash. Grandmaster Flash, qui était associé aux Furious Five, est l’auteur de l’un des textes les plus fougueux à la fois socialement, puisqu’il y décrit la vie d’un quartier laissé pour compte, mais aussi politiquement, racialement et poétiquement. L’œuvre, sortie en 1982, c’est-à-dire en pleine vacuité disco, s’intitule : The message. Cette pièce donnera une voix à la lutte pour les droits civiques des Noirs et marque un tournant dans la musique Hip-Hop. C’est un poème explosif, un poème de résistance qui connut une propagation mondiale. Ceux qui comme moi étaient jeunes dans les années 80 la connaissent :



Broken glass everywhere People pissing on the stairs, you know they just don't care I can't take the smell, can't take the noise Got no money to move out, I guess, I got no choice Rats in the front room, roaches in the back Junkies in the alley with a baseball bat I tried to get away, but I couldn't get far Cause the man with the tow-truck repossessed my car

Don't push me Cause I'm close to the edge I'm trying Not to lose my head

han han han han han


Je l’ai écoutée en boucle sur You Tube et j’ai chanté. Cela m’arrachait à ma léthargie et m’amenait bien au-delà de la médiocrité du négationniste de tout à l’heure. Quand la planète entière est claustrée sur son balcon, mieux vaut prendre le parti de chanter.


Au fond, ce cri de survivance m’a fait me demander si l’ennemi que nous affrontons en ce moment est vraiment plus irréductible que le poison d’alors contre lequel il n’y a encore aucun antidote et qui sévit aujourd’hui avec la même virulence.


À méditer, entre la viande hachée et le papier de toilette.


(Je dédie ce texte à mon amie Constance, elle sait pourquoi.)



Isabelle Larrivée



Photo: Grandmaster Flash, par Laura Levine



  1. [1] https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/rapports-publications/releve-maladies-transmissibles-canada-rmtc/numero-mensuel/2018-44/numero-6-7-juin-2018/article-1-resume-grippe-2018-2019.html [2] Les chiffres proviennent de John Hopkins University (JHU), Coronavirus COVID-19 Global Cases by the Center for Systems Science and Engineering (CSSE)https://gisanddata.maps.arcgis.com/apps/opsdashboard/index.html#/bda7594740fd40299423467b48e9ecf6

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