19 décembre 2016
J’ai appris récemment que mon cœur fait ce qu’on appelle un extra beat (le médecin était anglophone), c’est-à-dire qu’il fait de temps en temps, pas toujours, un battement supplémentaire par séquence, par rapport à ce que fait un cœur habituellement. Ainsi, au lieu de faire «poum-poum, poum-poum, poum-poum », il fait « poupoum-poum, poupoum-poum, poupoum-poum ».
On m’a envoyée passer des examens chez un cardiologue qui m’a rassurée : il n’y a là rien de trop grave, cela n’est pas limitatif ni ne m’oblige à restreindre les activités physiques. Surtout qu’avec un pouls à 57/58, je suis prédestinée (ou je l’aurais été) à être sportive.
Du coup, je me suis demandé ce que je pourrais bien faire de ce battement supplémentaire. Pour qui ou pour quoi mon cœur pourrait-il bien battre à l’excès? À qui pourrais-je bien dédier ce supplément de palpitation? Il y a tellement de récipiendaires possibles, que je ne sais plus où donner de la tête et je maudis le sort qui a voulu que mes extra beats ne soient qu’occasionnels.
Un extra beat pour les réfugiés de toute origine serait complètement ridicule. Ils ont besoin des cœurs de l’humanité tout entière.
Un extra beat pour Gaza exsangue ou pour les femmes congolaises détruites quotidiennement… cela ne suffirait pas à la tâche.
Peut-être que je pourrais me tourner vers ces femmes et ces hommes que je croise accroupis dans l’angle de deux murs, métro Berri. Pour eux, il faudrait beaucoup plus d’extras que je pourrais en fournir.
Après réflexion, je me suis tournée de manière plus réaliste vers un bénéficiaire à ma portée. J’ai décidé d’adresser ma tachycardie à celui qui s’est développé au rythme de ce cœur insolite, qui a sans doute su bien avant moi l’étrangeté de mes spasmes, ce garçon maintenant parti, mais pour combien de temps? Je l’ignore... et que mon cœur appelle de tous ses poupoum-poums.
Il n’est pas dehors, non, il est bien au chaud tout près. Mais si vous le croisez dans les rues de Parc-Extension, dites-lui que j’ai changé les draps de son lit, replacé les livres de son étagère et que sa guitare l’attend, accrochée au mur de sa chambre.
Isabelle Larrivée
Texte bref : intense. En peu de mots, vous dites de belles choses. Belles pensées. Le tout se termine sur une note émouvante. J'aime. Autrement dit, j'accorde un cœur qui fait poumpoum-poum à votre beau texte.