La fermeture du jardin, la semaine dernière, a encore une fois remué en moi la tristesse inexorable des cycles de la vie, des retours perpétuels à la saison stérile, au néant, aux conclusions redondantes. De la puissance des plants de tomates, il ne reste rien d’autre que les quelques pots de confiture que j’ai mis au frigo et la destruction pêle-mêle des restes de la culture l’été. Les dernières feuilles de basilic, de roquette et de laitue sont passées depuis longtemps à la vinaigrette. Les bulbes de caladium dorment déjà dans un sac de papier au sous-sol et les pots d’oxalis ne tarderont pas à les rejoindre. Parasol, table, chaises, vélo, tondeuse et instruments, ce sont bientôt les accessoires estivaux qui seront mis à l’abri pour l’hiver, dès qu’on pourra venir me donner un coup de main.
Je n’ai aucun souvenir heureux de ce moment d’enfermement et de paralysie. Je déteste sortir les pulls d’hiver du fond des tiroirs. Je hais la fermeture des fenêtres et l’allumage du chauffage. J’ai en horreur le rétrécissement des jours et la longueur des nuits.
Voir l’été s’en aller n’a rien de réjouissant, et les forêts rouges, et jaunes, et orangées, et mauves, toutes ces nuances chaudes, n’annoncent pour moi que la froidure à venir et le givre sur les vitres. Les fréquentateurs de la nature peuvent bien célébrer la beauté éclatante qui se dégage des paysages, de la montagne comme œuvre d’art et de la féérie des chênes rouges et des érables qui exhibent impudiquement leurs pigments, je reste dubitative car je ne trouve en cela aucune consolation. Je sais ce qui s’en vient.
Ces phénomènes naturels ne font qu’afficher avec arrogance une réalité saisonnière : la lumière diminue. Il n’y a dans ma rue ni chênes ni érables et les feuilles des tilleuls, insensibles aux variations, sitôt asséchées par les vents et leur propre mise en veille, s’écrasent au sol comme de vulgaires déchets encombrant la bordure des trottoirs. Dans un état paradormant, c’est bien là aussi que je loge...
Ne me parlez pas du temps court ni de la pluie sur les toits, des pas qui crissent à 18 h dans les rues désertées. Ne me parlez pas de la houle sur le fleuve ni des marées accrues, des Turner en puissance épuisant leur grisaille, ne me faites pas entendre les sifflements de la bise par les fenêtres éteintes. Faites taire les sommeils décousus. Assourdissez ce paysage. Entrez dans le tunnel sans fin. Rompez avec tout et enfermez-vous, en attendant. En attendant. En attendant…
Comme ils sentent mauvais, les vallons et les prés
Qui subissent et qui souffrent un automne empourpré
Qui se penchent et qui hurlent, étant désespérés
Que la fin soit si proche et si loin leur été.
Isabelle Larrivée
Brise d'automne, 1975, Jean Barbeau
Mon erreur. Je cliquais au mauvais endroit. Je n'ai jamais cessé d'être inscrit.
J'étais inscrit à ce site. Mon nom est Daniel Guénette. Je m'étonne d'être le membre inconnu qui vient de signer il y a quelques secondes un mot disant que je suis heureux de pouvoir lire encore des lettres pour la nuit. Bonne nuit!