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Photo du rédacteurLa noctambule

Ces femmes de ma vie



Je n’aime ni les consensus ni les dates fixes. Les éphémérides me donnent de l’urticaire, les commémorations me dépriment. Je préfère les célébrations spontanées, sans motif précis, si possible, les explosions d’enthousiasme intuitif et le temps des fêtes en juillet, s’il n’est pas planifié dans un camping. C’est pourquoi je n’évoque qu’aujourd’hui la Journée internationale des droits des femmes. L’avoir fait hier aurait contrevenu à mon style en contrepoint.



J’appartiens à une généalogie ascendante et descendante, et même latérale, de femmes formidables. Et je ne parle là que de ma famille. Il serait trop long d’inclure ici toutes les femmes importantes et exemplaires qui ont jalonné ma vie, qui ont contribué à façonner ma tête de pioche et m’ont donné le ressort nécessaire à me foutre de la clôture sociale. Enfin, pas complètement (il y a encore du travail à faire), mais presque. Il y a des clôtures qui sont des murs, et des plafonds de béton.


Dans le coin droit, surplombant ma vie et me l’ayant même donnée, ma mère, Réjeanne. Forte de ses six années d’instruction, dans une petite école de Villeray, Réjeanne est partie à l’usine à 15 ans, dès la fin de la crise. Elle a pu aider sa famille, faire coudre des robes à ses petites sœurs, amasser un peu d’argent pour un trousseau.


Même si elle n’était ni du milieu ni de l’époque où les femmes pouvaient avoir l’ambition d’enjamber les classes sociales et de transcender la différence des sexes, elle a toujours fomenté des désirs d’émancipation, des colères devant l’injustice contraceptive. Quand, après avoir mis sa septième enfant à l’école, elle a décidé d’aller travailler dans un restaurant, elle nous a donné l’exemple d’une femme audacieuse qui sort de la maison et qui acquiert une autonomie. Dans ces années 60 qui limitaient encore beaucoup la vie des femmes, cela n’était pas le fait de toutes les mamans des filles de ma classe.


Bref, même si elle n’avait pas l’instruction pour théoriser les idées féministes, elle m’a offert un modèle de femme inspirante, qui gagne son propre argent, qui sort de la maison, qui se dote d’une vie à l’extérieur de la famille et qui défend des idées propres à la désaliénation des femmes.


Dans le coin gauche, illuminant ma vie depuis que je lui ai donné la sienne, ma fille, Fatine-Violette.

Elle est née dans une famille de classe moyenne, à Casablanca. Elle a vécu au Maroc jusqu’à l’âge de 8 ans. Fatine est de ces enfants qui savent très vite ce qu’ils ont envie de faire dans la vie. Tout le contraire de sa mère, en fait. À 14 ans, elle tenait dans ses mains un petit appareil photo insignifiant, et elle a compris que cela la passionnait.


Depuis la fin de ses études, Fatine n’a jamais attendu qu’on lui fasse une place et c’est cela, moi, qui m’épate. Rien ne lui était donné, sauf son talent. Elle a toujours pris les devants, aussi bien dans sa carrière de photographe que dans son projet artistique. Son sens de l’humour, ses convictions, sa confiance en elle modeste et discrète l’ont favorisée. Et elle avance.


Je veux seulement dire ici combien, confortablement logée entre une telle mère et une telle fille, je suis fière d’appartenir et d’avoir contribué à cette lignée de femmes qui prennent les choses en main, malgré les difficultés qui peuvent se présenter. Elles n’étaient pas destinées à faire ce qu’elles ont fait, ce qu’elles font. Elles n’ont pas non plus des histoires à succès, du moins ce n’est pas pour cela que j’évoque ces femmes de ma vie. C’est plutôt pour offrir et puiser un peu de singularité dans des vies ordinaires. Et ça, ça se célèbre même le 9 mars.




Isabelle Larrivée


Photos: Réjeanne aux chutes Niagara et Fatine à Marseille.

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