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Photo du rédacteurLa noctambule

C'est l'instant

Dernière mise à jour : 24 mai 2020


26 janvier 2020





Tu roules dans une vieille bagnole achetée d’occasion 15 ans plus tôt. Le vent souffle doux-épais sur tes joues. Sec. Tu traverses des montagnes ferrugineuses. Ça sent la pierre, la terre. Ça sent les moutons qui broutent dans l’aridité. Le roc qui menace. Nous traversons le reg.


Temps suspendu. Tu laisses pendre un bras par la fenêtre, le long de la tôle cabossée chaude. Yeux mi-clos. Hypnose du voyage. Tu tiens au beau milieu de l’air, comme si le vide t’avait fait apparaitre. C’est l’instant.


À la radio, on passe Jil Jilala. Musique de voyage. Tu es au centre de ta vie. Devant le vertige de ce qu’il y a peut-être encore à accomplir. Mais tu ne penses pas à « peut-être ». Tu es au centre de ta vie. Le « peut-être » est celui d’aujourd’hui, du moment où tu écris, de ce point beaucoup plus loin sur la ligne du temps, où tout est devenu « peut-être ».


La végétation est ténue. La montagne escarpée rouge. Rugueuse. Austère. Granit enfoncé dans l'horizon.


Tu t’enfonces entre les montagnes sans plus savoir où tu es. Que le bruit du vent qui siffle dans tes oreilles et tournoie dans la voiture. Soulève les feuilles de ton journal, mais qu’importe. C’est l’instant. Le paysage dégage une sorte d’humidité restreinte à des zones spécifiques de la montagne.


Une partie de ta vie se trouve là, sur cette route droite, résolue, qui fend le paysage vers sa destination. Comme un moment qui ne finira pas, un bien-être qui ne s’achèvera plus. Une chandelle éternelle.


La joute verbale des poètes est ponctuée par les percussions. Grande sculpture rythmique, vocabulaire de la langue étrangère, celle de l’homme qui conduit sans brusquer le moment. Et elle te porte. Tu n’en saisis pas le sens en entier. Tu peux penser à autre chose. À rien.


Le trajet n’est pas long. Deux heures. Mais il est dense et ramassé. Tu peux t’y glisser dans l’insouciance. Tu ne conduis pas. Tu revis chaque fois cette élévation. De l’âme? Tu ne sais pas. Quelque chose se produit. Tu ne veux pas le nommer. Dans aucune langue. C’est l’instant.


Les oiseaux parfois piaillent. Tournent en rond au-dessus de la route, mouettes affamées. Si loin de l’océan. Égarées dans une géographie émue et friable. Elles nous suivent comme si la voiture était un navire, espérant quelques restes, quelques miettes.


Tu crois que c’est l’ailleurs. C’est l’ailleurs qui t’élève.



Isabelle Larrivée



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