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Photo du rédacteurLa noctambule

Bien accompagnée

Dernière mise à jour : 19 janv. 2022





Le parc Jarry est un être vivant qui abrite et protège des êtres vivants.

Aujourd’hui, sous la tempête, il est beau comme c’est pas disable.

J’ai fait un tour, en laissant le vent fouetter mes yeux. Paupières baissées, aveuglée par la poudrerie, j’ai longé la patinoire du côté sud.

Arrivée à la presqu’île des saules, je me suis arrêtée et j’ai enligné les chaises longues qui font le délice des lecteurs et lectrices en été et je me suis dit : « Pourquoi pas une petite folie ? » J’ai enjambé l’épaisseur de la neige jusqu’à la chaise. Le chemin vers cette chaise n’avait été foulé par personne encore. Comme si je me trouvais sur une lune urbaine où ne flottait aucun drapeau.

À droite, il y avait un autre sentier tapé par des pas dans la neige : quelqu’un avait eu la même idée.

J’ai déblayé la chaise longue et m’y suis calée. C’était froid au début, mais mon corps a vite dégagé sa chaleur.

Les branches nues du gros saule me gardaient du vent et me préservaient de la neige.

Face à moi se trouvait la partie est de la patinoire qui venait tout juste d’être déblayée.

Quatre patineurs et patineuses y tournoyaient en discutant, en se montrant leur dernier truc pour freiner ou pour aller vers l’arrière. De joyeux·ses néophytes.

Cela m’a rappelé une jolie chanson de Plume Latraverse.

Mes joues piquaient un peu. Mais je n’avais pas froid.

J’ai regardé ma voisine de droite. Nous ressemblions à des convalescentes dans un sanatorium.

Entre le décor et moi, un filtre blanc et vibrant modifiait légèrement le contour des choses et des êtres. Il s’en dégageait une joie tranquille, sourde qui a commencé à s’infiltrer à l’intérieur de moi.

Les branches nues du saule exerçaient leur fonction protectrice.

La neige apportait lumière et douceur.

Quelques chiens, promenés par leur maître, se roulaient dans la neige comme des petits fous, subjugués par les transformations du paysage et par le froid sur leur museau.

Je me sentais accompagnée, tenue par la main, en dialogue silencieux avec mon entourage, rassérénée dans cette époque hostile.

Puis, j’ai commencé à sentir le froid. À contrecœur, je me suis levée. Ma voisine était toujours là. Je me suis demandé si elle allait bien. Je l’ai saluée. Elle m’a répondu d’un léger signe de la tête, et elle est restée immobile.

Elle vivait sans doute une épiphanie semblable à la mienne.

J’ai remonté l’autre côté du parc. Les personnes que j’ai croisées gardaient la tête penchée, la neige devait leur piquer le visage.

J’ai marché jusqu’à la maison.

En arrivant, j’ai donné un autre coup de pelle dans les escaliers et sur le balcon.

Puis, je suis rentrée. J'avais un peu de ménage à faire.

Au moment où j'allais prendre le balai dans l'armoire, je me suis ravisée.

Je suis allée vers la cuisine, j'ai ouvert le frigo et je me suis servi une grosse part de mon gâteau d’anniversaire de la veille.


Isabelle Larrivée



Photo : Chandler Cruttenden


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1 Comment


denispayette
Jan 17, 2022

Véritable épiphanie que ce texte, Isabelle. Du rendu, du senti, du saisi sur le vif. Derrière tes mots, on entend sourdre le silence d’une grande paix intérieure. Merci pour ce moment de pure grâce.

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